lundi 25 février 2013

Critique de OutRun de Kavinsky

Et là vous vous dites : "non mais oh, c'est devenu un blog musical de PD parisien fils à papa dix-septenaire qui sort au Social ? tu files un mauvais côton là Superphilie".
Donc déjà on se calme NON Superphilie n'a pas viré blog musical, c'est juste que c'est un peu la reprise donc je commence cool avec des petites critiques pas bien compliquées avant de repartir dans les délires sociologiques orduriers.

KΔVINϟKY alias Vincent Belorgey. Jetons un oeil sur son Wiki, me voilà borgne LOL : l'individu joua dans Nonfilm et Steak, respectivement film bien et film pourritos mais vaguement rigolo et culte, tous deux de Quentin Dupieux, ainsi que dans des clips dudit misanthro-barbu : O'Malheur (celui-ci est marrant), Analog Worms Attack et Stunt.

Vers 2006, le mec bidouillait un TR-909 et il avait deux-trois potes d'Ed Banger dans les parages qui sont venus se foutre de sa gueule. "Hé vazi on le sort en EP ! Vazi on la sort ta merde ! Appelle Pedro vazi y va te tir-sor ça chez Dunckel et Godin !" S'ensuivit une épique partie de paintball. Je rigole, je sais pas comment ça s'est passé mais toujours est-il qu'il a sorti quatre EP, la plupart sur Records Makers :


J'ai écouté Nightcall à sa sortie en 2010, avant que la chanson éponyme ne devienne un tube galactique. Trouvé ça assez mou, la version dynamisée de Xavier de Rosnay sous le pseudo Dustin N'Guyen passait mieux, mais rien d'extraordinaire. Et puis un jour le réal' danois Nicolas Winding Refn sortait des toilettes où il avait posé deux bouses baptisées Bronson et Valalhahalayoutouchmytralala Rising, et y a un mec d'Hollywood qui est venu il a dit :

"BONJOUR MADAME, voulez-vous réaliser un scénario tout à fait pourri en échange d'argent en pagaille ?"

L'homme danois répondit : "Certainement en plus ça tombe bien j'ai une zik dans mon iPod que je veux caser quelque part vazi on le fait mec."

Passons sur le film Drive, retenons juste que le film fut un succès public et donna un sens cinématographique à la lenteur de Nightcall. Cocktail gagnant, la chanson se démocratisa massivement, propulsant un Belorgey hébété dans les cieux de la popularité. "C'EST L'HEURE" lancèrent les producteurs, "l'heure de quoi" demanda-t-il. "L'heure de sortir ton album, et ainsi, THUNE".

J'ai oublié de vous dire que Belorgey avait développé depuis le début une espèce d'univers visuel autour du projet Kavinsky. Le personnage serait devenu une espèce de robot-zombie relié à sa Ferrari Testarossa à la suite d'un accident de voiture en 1986. Le tout dans une ambiance pop 80's, blouson Teddy, Los Angeles, grilles laser à la Tron, et le film Terminator, évoqué par l'apparence de Kavinsky, auquel lui ou le graphiste qu'il a embauché ont récupéré la charte colorimétrique rouge, noire et bleue.


Après avoir galéré sur After Effects pour pondre ce truc qui raconte la naissance post-mortem du personnage, avec une petite référence à Christine de John Carpenter :


... et sa suite, mieux fichue, pourvue de véritable animation :


... Kavinsky a enfin accès à un peu plus de budget et tourne ceci accompagné d'un premier inédit de l'album :


Kavinsky avait espéré pouvoir développer une sorte d'animé manga/comics des années 80 multimédia, le voilà capable se payer une identité visuelle de facture cinématographique. D'où les bandes noires de la pochette de son premier album :


Mais au fait Jamy, il est bien cet album ?
  1. Prelude. Comme on s'y attendait, c'est parti pour un délire cinéma avec la voix ricaine cassée d'un des producteurs de Belorgey contant la naissance du personnage de Kavinsky comme dans un générique de série TV des années 80. Dans cette introduction un peu anecdotique à la Giorgio Moroder, les arpèges électroniques rappellent la B.-O. de l'Histoire sans fin, tandis que les voix synthétiques ressemblent à celles du thème de Scarface. 10/20.
  2. Blizzard. Mais qu'est-ce que ce morceau fait sur la deuxième piste de l'album ? Au lieu de mettre une track majeure comme First Blood ou ProtoVision, quelqu'un a étrangement choisi ce Blizzard, qui aurait plutôt sa place en face B d'un single ou à la limite vers la fin de l'album. Fade entrée en matière, le morceau n'est constitué que d'une boucle de sample de la soundtrack de la série San Ku Kai, répétée pendant plus de trois minutes, avec deux ponts et deux-trois notes de synthé en guise de variation. 5/20.
  3. ProtoVision. Ce premier single de l'album avait un peu déçu le grand public à cause de l'absence de voix, la structure harmonique changeante et l'arrangement très saturé, le rendant un peu plus exigeant que Nightcall. Il est vrai que ce morceau, assez bon, avec sa guitare lead rétro dont certaines notes du riff suggèrent le thème de Terminator, n'a pas du tout un potentiel de tube de radio, mais est plutôt fait pour introduire un album comme celui-ci. 13/20.
  4. Odd Look. Deuxième single prévu, on reste sur les influences moroderiennes avec des arpèges au synthé et la même basse très saturée que ProtoVision, cuisinée manifestement par SebastiAn, qui a produit et mixé l'album. Ce dernier a également fait appel à la même voix que sur son propre single Embody, et l'a d'ailleurs mixée avec les mêmes filtres. En fait, la patte de SebastiAn est presque envahissante. Arrivent les violons typiques de son style et on se dit : "mais c'est le deuxième album de SebastiAn en fait ?" (j'ai fait la critique du premier ici). Dommage que l'écueil régulier de SebastiAn : la répétition, fasse ici des siennes. 11/20.
  5. Rampage est à peu près sur le même mode que Blizzard. Un sample de la soundtrack de Dragon Ball Z au centre, soutenu par des violons et une basse à la texture mécanique là aussi typiquement sebastiAnesques et deux notes de synthétiseurs constantes en bourdon. Même pas conçu comme une montée en puissance, je me suis demandé où allait le morceau, et ennuyé au bout d'une minute. Kavinsky tablait peut-être sur le charme nostalgique du sample, mais pour ma part c'est raté. 5/20.
  6. Suburbia. Ah ! Un peu de voix. De fait, le problème de répétition jusqu'ici observé, est un peu réglé par le fait qu'on ait affaire à un rap, genre habitué aux instrus basées sur des boucles, la variation étant amenée par le texte, structuré parfois par un refrain, comme en l'occurrence. Il faut aimer le rap, mais c'est une chanson honorable. 11/20.
  7. Testarossa Autodrive. Vous le reconnaissez ? D'abord sorti en 2006 sur le premier EP de Kavinsky, Testarossa Autodrive a eu droit à un petit lifting au niveau du mixage, mais rien n'a changé. Mettons-nous à la place de ceux qui ne connaissent de Kavinsky que Nightcall. C'est plutôt le versant revival musique de jeu de bagnole d'arcade du zigoto qui s'exprime. En 2006, il semblait un peu plus inspiré en ce qui concerne la structure harmonique, ici beaucoup plus recherchée, même si ça manque beaucoup de respiration : le synthé en continu est un peu assommant, et il n'y a pas de pont. Mais ça a un peu de charme. 10/20.
  8. Nightcall. Produite par le Daft Punk Guy-Manuel de Homem-Christo, avec le secours de Sébastien Tellier aux choeurs et SebastiAn au mixage. Avant de m'y habituer, elle me semblait un peu trop lente et je n'accrochais pas au vocoder dégueulasse du couplet. Comme je l'ai dit plus haut, l'edit de Xavier de Rosnay, plus punchy et affublé d'un petit solo de guitare bien senti, était bien meilleur, et aurait peut-être dû être la version originale. Mais après ce début cafouilleux de OutRun, Nightcall et sa saine simplicité de chanson en couplet-refrain est assez décrispante. 14/20.
  9. Deadcruiser. Autre morceau recyclé, Kavinsky avait mis un peu de son 8-bit, toujours pour le côté vieille borne d'arcade. Malgré une petite mélodie sympathique, c'est un peu mou et foutraque, et on se demande pourquoi ce titre a été retenu pour l'album et pas d'autres avec plus de caractère comme Wayfarer. Ça passait bien avec le clip, mais c'est assez faiblard à l'écoute seule. 9/20.
  10. Grand Canyon. Encore du recyclage. Pour ceux qui ont lu mon article concernant le sampling, vous saurez tout de suite ce que je pense de ce morceau quand je vous aurait dit qu'il sample Ikeya Seki (vers 2:30) de ce très sympathique groupe de disco qu'est Kano. Répéter un loop pendant plus de trois minutes avec quelques fioritures dessus, et mettre ça sur la piste d'un album, après l'avoir déjà fait sur un EP, franchement... 6/20.
  11. First Blood. Nouvelle chanson à l'arrangement très sebastiAnesque. On dirait le mec de Starsailor qui chante. Retour de la guitare soft rock 80's. Dommage que la structure soit toujours aussi redondante, on était à deux doigts d'une chanson très sympa. 11/20.
  12. Roadgame. Une mesure de cinq accords répétée quelques fois, un pont, puis retour de la mesure, alors que l'arrangement, très violoneux, varie légèrement au fil des un peu moins de quatre minutes. Morceau très simple, mais très propre. 12/20.
  13. Endless clôt l'album un peu comme Prelude l'avait ouvert. Cette fois, c'est plutôt à John Carpenter que l'on pense, par exemple son thème de New York 1997. Mais la science du gimmick est moins présente... 10/20.
Verdict :

À vouloir imiter les bandes-originales de films, séries et jeux des années 80, Kavinsky a oublié que les bandes-originales sont épurées parce qu'elles sont faites pour accompagner une narration, et pas d'abord pour les écouter comme des musiques lambda. Cette erreur d'appréciation rend l'album très limité musicalement, répétitif et attendu. C'est la même batterie house tout du long : kick sur le premier temps, hihats sur le contretemps, snare sur le deuxième temps, et ainsi de suite. Les thèmes, qui n'ont pas été conçu par un compositeur de la trempe d'un Moroder, s'usent au bout d'une minute. Et Kavinsky ne peut même pas compter sur la variété de ses instruments, puisqu'elle n'existe pas.

On s'attend également à un album concept lié à l'univers visuel kavinskyesque avec cette musique introductive à voix-off, mais rien de tel finalement dans la suite si ce n'est le morceau outro de l'album et deux références à l'histoire de Kavinsky dans les titres des pistes : Blizzard (météo pendant laquelle l'accident de Kavinsky a eu lieu) et Deadcruiser (je sais pas ce que c'est mais le mec en parle dans Endless). Les autres noms étant des références aux jeux Rampage et OutRun et au film First Blood (Rambo en version française).

Manque de motivation ? Manque d'ambition ? Manque de solfège ? Manque de temps ? Manque de talent ? Mystère. En tout cas, l'album fade de Kavinsky me semble être une déception à tous les niveaux. 9/20.