mardi 14 juin 2011

Quand le stand-up gangrène l'humour français

Est-ce que vous avez remarqué qu'il y a énormément de sketches qui commencent par "Est-ce que vous avez remarqué qu'il y a énormément de sketches qui commencent par "Est-ce que vous avez remarqué qu'il y a énormément de sketches qui...""

...

... LOL !

Pardon. Je recommence. Est-ce que vous avez remarqué qu'il y a énormément de sketches qui commencent par "Est-ce que vous avez remarqué ?". La preuve, j'ai l'impression d'écrire l'un des gags du prochain spectacle de Gad Elmaleh. Du méta-humorisme, un peu comme Ben, qui est assez rigolo soit dit en passant.

Oui, ça ferait un sketch pas mal. Je commencerais par dire ça :

"Est-ce que vous avez remarqué qu'il y a énormément de sketches qui commencent par "Est-ce que vous avez remarqué ?""

Deux suites possibles :
1) Réponse positive du public > Continuation du sketch.
2) Réponse négative du public > "Eh ben en l'occurrence, si."

2) A) Rire du public > "Non, plus sérieusement..." > Continuation du sketch.
2) B) Pas de rire du public parce que cette blague est incompréhensible > "D'accord, le public n'est pas très en forme aujourd'hui !"

2) B) a)  Rire du public > Retour à partir de 2) A)
2) B) b) Pas de rire du public parce qu'ils sont tous susceptibles... ...

...

... Mais c'est SUPER DUR d'écrire du stand-up ? Y a trop de variables et si j'improvise et que je m'enfonce encore plus, je fais comment ? Je passe pour un énorme con. Finalement, je ne vais pas commencer une carrière d'humoriste et je vais finir cet article.

DONC, y a plein de sketches qui commencent par "Est-ce que vous avez remarqué..." et le bonhomme cite une observation du quotidien.

Auparavant, il fallait faire un commentaire spirituel sur cette observation. Mais de nos jours, ces feignasses de comiques s'en tiennent à l'observation seule. Et par un réflexe pavlovien, ces connards de GENS rient automatiquement (et même parfois, ils applaudissent). C'est devenu une habitude.


Moi aussi je reconnais certaines observations (exemple réel : dans L'autre c'est moi, Elmaleh* parle du plat à l'entrée d'un certain nombre de foyers dans lequel on met plein de trucs divers qu'on ne sait pas où ranger : clés de cadenas paumé depuis 2003, stylos usagés, petits sachets avec des boutons de pantalon dedans...) mais en quoi l'observation seule de cette chose est DRÔLE ? Ça vous fait marrer d'avoir tous la même vie ? Je croyais qu'on vivait dans l'époque de l'égocentrisme général ?

*Non, je ne l'appelle pas "Gad", je ne le connais pas.

Il y a encore une formidablement inutile théorie sociologique à faire ici. Les gens aiment se regarder vivre leur vie pourrie. Il suffit de faire un tour sur les albums photo Facebook. "T'as vu ? J'ai passé deux semaines à la plage cet été. 34/72. Là c'est moi qui me baigne. 35/72. Là c'est moi qui me baigne. 36/72. Là c'est moi qui me baigne."

"Voici mon album photo intitulé "Friends" ça veut dire qu'il y a des photos de mes amis dedans. 12/89. Là c'est une soirée qu'on a fait. J'ai un verre à la main et je suis à côté de Julien et Léo. On regarde l'objectif en souriant. 13/89. Là j'ai un verre à la main et je suis à côté de Laura et Victor. On regarde l'objectif en souriant. 14/89. Là j'ai un verre à la main et je suis à côté de Thomas et Léonard. OUAIS, il a un prénom trop bizarre ! On regarde l'objectif en souriant."


Le stand-up est le genre le plus galvaudé de l'humorisme, parce qu'il est celui qui ressemble le plus à la simple conversation. C'est tout simple ! Vous débarquez sur scène et vous blablatez. Vos sketches deviennent des fourre-tout où vous pouvez intégrer remarques (pseudo-)satiriques sur la société, histoires drôles et imitations parodiques.

Mais le pire de tout, c'est le stand-up omar&fredesque, qu'on peut également appeler "stand-up inter-complaisant". Vous mettez non pas un humoriste, mais deux, et vous jartez le public. Ça leur permet de pas essuyer de bide puisqu'ils se marrent de leurs propres vannes même si elles sont pourries (et elles le sont). Le nec plus ultra, c'est que l'un des deux ait un rire communicatif, d'où la présence d'Omar qui à part se gausser sans interruption, n'est bon qu'à faire l'accent créole. Fred, de son côté, est le prototype du pince-sans-rire moyen, qui lâche une bonne blague de temps à autre.

Une des rares images Google où Omar n'est pas en train de s'esclaffer.
Je ne plaisante pas, regardez.

Comme avec Gad Elmaleh, je suis un peu sévère avec ces deux-là, mais les ficelles de leur S.A.V. des émissions sont révoltantes, d'autant que la populace vulgo-hype qui constitue le téléspectatorat du Grand Journal n'y voit que du feu. Même pas foutus de voir qu'il n'y a presque jamais de chutes aux gags de ces deux escrocs de la farce. Leur stratagème-phare pour mimer la bonne vanne, c'est de créer des running gags à partir de rien. Tu lances un gimmick qui n'est pas drôle, ou qui l'est très faiblement ("tu viens plus aux soirées ?", "je viens de voir Mamadou blabla, vachement bien !") et tu le répètes jusqu'à ce que ça fasse rire. Le mécanisme de leur autre système de blague est également passionnant à analyser.

D'après la thèse de ce fascinant bouquin qu'est Ironie et vérité de Belhaj Kacem, l'ironie nous sert inconsciemment à faire passer l'air de rien notre vraie pensée. Quand quelqu'un vous dit "Je regarde Secret Story pour me foutre de la gueule des candidats.", il ne se rend pas compte qu'il adore ça, voir les vaines péripéties de Tatiana et Xavier et les clashes entre François-Xavier et Cindy. D'une manière sensiblement similaire, les blagues ont toujours un fond de vérité, celles qu'on fait et/ou auxquelles on rit sont le reflet de ce qu'on est. On aime tout particulièrement la caricature de nous-mêmes, se voir être caricaturés et se caricaturer soi-même.

Et pour en revenir enfin à Omar & Fred, leur grande habitude c'est de faire de très mauvaises blagues suivies de "pffrfrfffrt" pour signifier que c'est mauvais EXPRÈS. Personnage hyperbolique de cette technique (tavu le beau mot, je sais même pas si ça correspond), Jean Leguin, utilisé par le duo comme moyen de faire passer leurs jeux de mot nazes mais qui les font intérieurement rire.
Jean Leguin, c'est le véritable Fred, en son for intérieur, le Omar subconscient.


Et j'irais même plus loin, tenez-vous bien David Pujadas. Cette manière biaisée de refuser le fait qu'on a un humour de merde, et par le même mouvement, de faire croire qu'on se moque de l'humour beauf, est typique du public d'Omar & Fred, généralement constitué de wannabe-hype frustrés d'être profondément beaufs. Je l'ai esquissé plus haut, le Grand Journal, et même Canal+, c'est la démonstration que coupler hype et populaire est impossible. On est beauf ou hype. Et Canal est, disons le beauf du hype.

D'ailleurs, l'un des meilleurs représentants actuels du stand-up beauf (et nul), Kev' Adams, puise une grosse partie de son public dans la tranche grandjournalesque de la population (càd beaucoup de filles typées parisiennes même quand elles habitent à Vitry-sur-Loire, entre 15 et 21 ans, qui écoutent Two Door Cinema Club, Brigitte et les Strokes), et est mis en scène par le frère de Michel Hazanavicius qui est l'un des ambassadeurs de l'humour Canal notamment depuis 1993.

Overrated. Même s'il m'a déjà fait rire. Une fois. Une blague sur les commentateurs sportifs.
Au fait, pourquoi les stand-uppers ont toujours un petit micro blanc sur le coin de la bouche ?

Après cette longue ronchonnerie, je tiens quand même à STIPULER que le stand-up est le genre comique qui me fait le plus rire contrairement au sketch sous forme de saynète à personnage qui, malgré plusieurs excellents pratiquants comme Dupontel et Palmade, est une discipline bien plus difficile, mais généralement bien plus chiante à regarder. En fin de compte, je pense que je suis un gueux de l'époque, moi aussi.

Enfin, quand même, le stand-up, c'est Woody Allen, c'est Pierre Desproges.
C'est JEAN-MARIE BIGARD. Le stand-up c'est GÉNIAL.

Défendons le stand-up.

(Suite de l'article ici.)

1 commentaire:

  1. Je trouve l'article très bien écrit avec une belle analyse des techniques utilisés par les humoristes et les semblants d'humoristes.

    Cependant, un artiste talentueux de grande renommée manque : Dieudonné
    Je pense qu'il aurait été un élément de comparaison très pertinent et intéressant, sans pour autant entrer dans les engagements politiques, ou partager toutes ses idées.
    Sa manière de puiser dans les racines du réel métier d'humoriste est tout simplement remarquable.

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