dimanche 16 octobre 2011

Critique de Audio, Video, Disco de Justice

(Suite de l'article "Justice, les Daft Punk et Ed Banger Records")

Audio, Video, Disco de Justice : une suite uniquement spirituelle à l'album ?

D'abord, un peu de musique.


On pourra écouter Planisphère, quatre tracks bout à bout originellement composées pour je ne sais quel défilé à la con, dans la version iTunes d'Audio, Video, Disco, l'album n°2 de Justice.

Bien qu'il y figure, et malgré son solo de guitare final (qui, notons-le, présageait déjà de quelque chose), Planisphère est comme un étranger pour le reste des morceaux. C'est le Justice de 2007, celui de . Les onze plages d'A.V.D. paraissent radicalement différente. Alors, c'est la suite ou pas ?

La croix de Justice, version Electric Warrior de T. Rex et version Who's Next des Who.

Oui. Quoi qu'on fasse, le deuxième album d'un groupe est toujours la suite du premier, qu'il ait voulu s'en démarquer, ou garder exactement le même son. Pensons à MGMT (encore), dont le deuxième album Congratulations est diamétralement opposé à Oracular Spectacular dans sa manière d'aborder le format L.P. L'idée, c'était de ne pas refaire une playlist de tubes (Time to Pretend, Electric Feel, Kids, ...) comme le sont tous les disques actuels, mais plutôt une continuité, comme a pu l'être The Wall de Pink Floyd d'une façon jusqu'au-boutiste (si bien qu'un film en a émergé, racontant une seule histoire).

Pourtant, Congratulations était déjà là dans Oracular Spectacular. On peut mettre Weekend Wars dedans sans que ça passe trop aperçu par rapport aux autres morceaux. Ce sont les mêmes qui composent, donc même si l'écrin est différent, ce qu'il y a dedans est similaire : même idées fixes, même références. VanWyngarden n'avait pas pu évincer en seulement deux ans Neil Young ou David Bowie de ses modèles musicaux.

Audio, Video, Disco, c'est pareil. Beaucoup de gens vont être déçu par cet album, parce qu'ils s'étaient attardés sur l'écrin de . Pourtant, les mêmes noms nous viennent à l'écoute. Giorgio Moroder nous fait coucou sur Valentine comme sur Brianvision.


On voit aussi bien la tête du nerd à lunettes des Buggles derrière D.A.N.C.E. que derrière Ohio et la track éponyme, dont beaucoup ont remarqué la parenté avec Air ; ce qui est normal quand on connaît l'influence des Buggles sur le style de Jean-Benoît Dunckel. (Comparez donc les harmonies de ce morceau-ci et de ce morceau-là. Plus évidente encore, l'utilisation des mêmes synthétiseurs dans pas mal de leurs compos.)

Et puis Metallica, Yes, les Eagles, et des groupes de hard rock des années 70-80 que Justice citaient déjà dans leurs premières interviews.

Ce qu'on retrouve d'autre, ce sont les envolées kitsch. Le solo de basse de DVNO faisait ricaner Augé et de Rosnay il y a quatre ans, et là, ça sera le passage au flûtiau de On'n'On, ou pire, les vingt-sept secondes bretonnes de Canon (Primo), qui oscillent entre Greenleeves et la scène des nains de Spinal Tap (d'ailleurs, on dirait que la pochette de A.V.D. est également une référence à Stonehenge). Et puis il y a ce nouveau délire qui atteint son apogée dans Canon : le son beat them all old-school, qui s'infiltre aussi dans Ohio et Parade. On a l'impression de voir Batman foutre des coups de cape au Pingouin sur un jeu de NES ou de Megadrive.


Enfin, il faut saluer le boulot sur l'orchestration et le mixage, qui donne un son inédit à l'album, comme l'était celui du précédent. À l'instar des Daft Punk (ils se dépêtreront jamais de la comparaison), on perçoit un grand amour de la distorsion, du phaser et autres attirails rétro, des petits détails sonores grésillants (sur ce point, le début de Civilization rappelle un peu Prime Time of Your Life), de la texture des basses (Horsepower) et des voix d'hommes dans les aigües (déjà là dans D.A.N.C.E., évidemment, et DVNO, toujours là dans toutes les chansons d'A.V.D., peut-être à cause de l'influence d'AC/DC et de Led Zeppelin).

Qu'est-ce qui change au final ? Très peu de compression sidechain, on s'éloigne de la house. Le rock éclipse le disco. Moins de synthés, pas de slap bass. Finalement, Justice a raclé tous les éléments qui auraient constitués une caricature s'ils étaient revenus dans cet album (ce qui aurait donné genre ça). Un folklore Justice en remplace un autre : maintenant, on a le droit à des riffs psyché ou hard rock qui lanceront peut-être la mode des grattes ratatato-mikeoldfieldesques.

Mes notes pour chaque plage :
  1. Horsepower. 16/20
    Un opening flamboyant qui rappelle le collègue SebastiAn. Excellent.
  2. Civilization. 14/20
    J'avais beaucoup aimé cet agréable hymne pop-rock descendant de Baba O'Riley.
  3. Ohio. 14/20
    Une touche de pure pop. Le plus proche voisin de D.A.N.C.E., faisant plus qu'allusion à l'Orléans de David Crosby.
  4. Canon (Primo).
    Un interlude à la Embryo de Black Sabbath. Je note pas, mais c'est sympa.
  5. Canon. 15/20
    Dynamique, syncopé, samplé (Brothers Johnson). Du Justice. Et du bon.
  6. On'n'On. 12/20
    Moins convaincu par ce Led Zeppelin trop long et trop léger.
  7. Brianvision. 10/20
    Là encore, le répétitif riff manque d'efficacité, même si on voit l'intention.
  8. Parade. 11/20
    Chanson pour stade, entre Bachelet et Queen. Redondant aussi.
  9. New Lands. 14/20
    Du AC/DC 2011, en moins bon. J'expliquerai pourquoi en conclusion.
  10. Helix. 16/20
    Ma préférée de l'album. Un mot-clé : ligne de basse.
  11. Audio, Video, Disco. 13/20
    Voir la conclusion.
  12. Haimalmattack (morceau caché). 15/20
    Alan Parson fusionne avec les Eagles pour un bel au revoir.
13,5/20

Conclusion :

La #11, Audio, Video, Disco porte le nom de l'album, peut-être parce qu'il en est une synecdoque (woputain y a du vocab ça devient sérieux). Il reflète le défaut majeur de la deuxième oeuvre de Justice. Quand les deux compères se sont jetés à corps perdu dans le rock, ils ont approché le genre comme ils en avaient auparavant approchés d'autres : la pop, le disco, la funk...

Quelle est leur différence avec le rock ? À mon sens, c'est l'importance de la structure. Justice sont doués pour inventer des bonnes formules, des bons refrains (D.A.N.C.E.). Quand il s'agit de développer, de monter en puissance, de faire grimper les guitares jusqu'à l'apothéose, ce qu'on appelle le point d'orgue, c'est plus difficile, il faut savoir prendre son temps. Mais les morceaux d'Audio, Video Disco, ne tournent qu'autour des quatre minutes.

Où sont les points d'orgue dans cet album ? Il y en a un dans New Lands, qui avorte tout d'un coup à 3:20, inexplicablement. À l'inverse, il y en a un, trop timide, et qui ne fonctionne pas dans Audio, Video, Disco à 3:09, un morceau trop poussif qui se contente de répéter platement son excellent refrain. Dans Canon et Helix, ils fonctionnent. Accidents ?

Audio, Video, Disco est un album de rock bancal. Mais c'est un bon album de musique électronique, malgré l'ombre que lui fait son prédecesseur.

Je recommande donc, dans l'ordre :
Helix, Horsepower, Haimalmattack (triple H non intentionnel), Canon, New Lands, Civilization et Ohio. Le tout s'écoutant beaucoup, beaucoup mieux avec des grosses enceintes et un caisson de basse que sur un casque.

Justice – Audio, Video, Disco
Sortie le 25 octobre 2011

À titre de comparaison, j'ai noté les douze grandes soeurs :
  1. Genesis. 18/20
  2. Let There Be Light. 13/20
  3. D.A.N.C.E. 19/20
  4. Newjack. 15/20
  5. Phantom. 15/20
  6. Phantom Pt. II 14/20
  7. Valentine. 16/20
  8. Tthhee Ppaarrttyy. 12/20
  9. DVNO. 16/20 (Je mets 17/20 au Radio Edit.)
  10. Stress. 15/20
  11. Waters of Nazareth. 13/20
  12. One Minute to Midnight. 12/20
14,8/20
Justice –
Déjà sorti